La canne à sucre au menu de Marie Guévenoux, la ministre des Outre-mer (Vidéos-Photos)

C’est une tribune d’Éricka Bareigts, 1ère fédérale de La Réunion du Parti Socialiste et ancienne ministre des Outre-mer, d’Audrey Bélim, sénatrice de La Réunion et de Philippe Naillet, député de La Réunion.

« Ce sont des jours tragiques que la Nouvelle-Calédonie vient de vivre. Tragiques tout d’abord pour les familles des trois jeunes Kanak tués, des deux gendarmes décédés et de la jeune femme qui a perdu son bébé, faute d’avoir pu avoir accès à l’hôpital. Chaque mort est un drame pour la République.

Tragique ensuite parce que ces décès viennent endeuiller un archipel qui vivait en paix depuis 1988. Tous les gouvernements qui se sont succédés depuis ont veillé à préserver vaille que vaille cet équilibre
des plus fragiles. Tout au long de ces dernières décennies, nous avons été prudents, inquiets, vigilants car convaincus que le vivre-ensemble et la paix sont nos biens les plus précieux. Chaque mort est donc une
défaite pour la politique.
Le peuple Kanak a une histoire lourde et douloureuse avec la France. Un lien de confiance, ténu, avait été tissé depuis les accords de Matignon de 1988, puis les accords de Nouméa en 1998. Lien de confiance construit sur la considération pour une population colonisée, inscrite dans un processus de décolonisation encore d’actualité. Une population qui souhaite avant tout protéger son identité, sa culture, ses traditions et ses valeurs malgré son intégration à la nation française. Cette confiance, qui a été difficile à construire, vient d’être annihilée par une méthode brouillonne, précipitée, méprisante.

Le Gouvernement souhaitait actualiser le corps électoral de la Nouvelle-Calédonie, qui n’a pas été révisé depuis 1998. Si l’objectif est compréhensible, la méthode n’était assurément pas la bonne, ce que les
sénateurs et députés socialistes n’ont eu de cesse de répéter. Une nouvelle méthode est urgente. Quelle peut être cette méthode pour l’avenir et la paix en Nouvelle-Calédonie ?
La seule solution est maintenant la désignation par le Gouvernement d’un Comité de médiateurs impartiaux témoignant d’une réelle volonté d’écoute et de considération et prenant en compte les inquiétudes et souhaits des deux parties.
En tant que représentant des territoires, le Président du Sénat incarne l’institution la plus à même de réunir à nouveau les différentes forces calédoniennes et apaiser les tensions dans l’intérêt de l’archipel. La
Présidente de l’Assemblée nationale pourrait utilement participer à cette délégation puisqu’elle a elle aussi présidé le groupe de contact.
Une visioconférence ne pouvait plus être la solution. Cette proposition a été perçue comme un affront. Faire venir les acteurs néo-calédoniens à Paris n’est plus possible après l’escalade de la violence et de la défiance. Il faut aujourd’hui échanger les yeux dans les yeux.
Pour éviter que ce dialogue ne soit influencé par les éléments les plus radicaux et qu’il soit conduit avec la sérénité nécessaire, cette rencontre entre les forces calédoniennes pourrait se tenir à mi-chemin entre
l’Hexagone et la Nouvelle-Calédonie. Le lieu de rencontre doit toutefois absolument faire partie du territoire national vu les soupçons d’ingérence étrangère.
La Réunion est précisément une terre de dialogue et de respect des différences. Notre île partage une géographie et une histoire similaire à celle de l’archipel. Nous avons créé des liens depuis le début du XIXème siècle puisque de nombreux Réunionnais sont allés émigrer et vivre en Nouvelle-Calédonie. C’est à ce titre que l’île de La Réunion pourrait accueillir des négociations pour la paix et l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. C’est ainsi une occasion historique de marquer la dimension indo-pacifique de nos territoires.
Pourquoi, nous, femmes et hommes politiques réunionnais, nous intéresser à l’actualité calédonienne ? Par solidarité, tout d’abord : lorsqu’un autre territoire ultramarin connaît cinq décès et “un début de
guerre civile” selon les mots du Haut-Commissaire, nous ne pouvons pas regarder ailleurs. Par proximité aussi : nous devons absolument observer la manière dont ce Gouvernement traite un autre territoire d’Outre-mer car cela en dit long sur la considération qu’il porte aux Outre-mer. Les sept dernières années d’Emmanuel Macron ont brisé la confiance des Ultramarins en ce Gouvernement, en cet État. Au lieu de nous voir comme des atouts, nos populations sont maintenues sous perfusion en ignorant les volontés singulières et les spécificités des uns et des autres.

C’est pour cela que nous nous inquiétons de la situation en Nouvelle- Calédonie : oui, ce territoire est différent du nôtre mais voilà un autre territoire ultramarin, à l’histoire pourtant difficile, dont la situation n’a pas été prise à sa juste mesure par ce Gouvernement.
Ces négociations calédoniennes peuvent avoir lieu dans l’immédiat ou, après une reprise du dialogue à Nouméa en présence des présidents Larcher et Braun-Pivet, avec un comité de médiateurs et sur un temps plus long pour construire ce que seront demain les accords post Matignon et Nouméa. La France n’est pas qu’hexagonale. La France océanique peut permettre d’apaiser les tensions.
Les experts des accords de 1988 et 1998 tels que Jean-François MERLE, ancien conseiller de Michel Rocard, ou Alain CHRISTNACHT, l’un des autres artisans des accords de Matignon, ou Thierry LATASTE, ancien haut commissaire en Nouvelle-Calédonie, ou encore Ferdinand MÉLIN- SOUCRAMANIEN, professeur de droit public, sont des interlocuteurs pertinents pour accompagner ce processus : le fil du dialogue sera fragile mais il peut exister. Ils ont déjà réussi à le renouer dans des conditions encore plus tragiques.
Comme lors des accords de Matignon, il est essentiel que d’autres personnalités impartiales fassent partie des négociateurs : acteurs économiques, autorités religieuses issues des différentes églises, hauts
fonctionnaires… C’était une condition essentielle du succès de 1988. Enfin, dernier point fondamental pour cette potentielle méthode de négociation, les élections provinciales ne peuvent pas se tenir en
décembre 2024. Le Conseil d’État a indiqué que le report des élections provinciales pouvait être jusqu’en novembre 2025 : desserrons le calendrier et donnons-nous du temps, notion fondamentale en Nouvelle-
Calédonie. Le projet de loi ne peut plus comporter d’élargissement polémique du corps électoral à ce jour : il ne peut plus comporter qu’un report des élections provinciales.
Une voie, fragile, existe pour que l’archipel retrouve la paix des dernières décennies. L’Histoire nous regarde et nous, femmes et hommes politiques, devons cette fois être à la hauteur des enjeux ».

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