C’est ce que pensent en tout cas certains soutiens de Mathieu Hoarau, redoutable adversaire du maire sortant, qui espèrent « faire flancher » Michel Fontaine à la Civis, en cas de victoire de leur jeune poulain au soir du 27 février prochain à l’issue des municipales partielles de l’Etang-Salé. Explications.
Vous le savez, un peu plus de 12 000 électeurs de cette commune du Sud d’environ 14 000 âmes – qui fait partie de la Civis, présidée par Michel Fontaine (également patron de « LR » et maire de Saint-Pierre) – seront de nouveau appelés aux urnes les 20 et 27 février prochains. En effet, en janvier dernier, le Conseil d’Etat, suite à un recours de Mathieu Hoarau, et renvoyant les juges du tribunal administratif de Saint-Denis à leur Code Electoral, a décidé d’annuler l’élection de Jean-Claude Lacouture « LR ».
Rappelez-vous, au soir du second tour des municipales de juin 2020, le maire sortant , le septuagénaire Jean-Claude Lacouture obtient 4 098 suffrages (50,01%) contre 4 097 voix (49,99%) au jeune Mathieu Hoarau, 35 ans. Une victoire ric-rac car une toute petite voix sépare les deux hommes !
Jean-Claude Lacouture a gagné, certes, mais il n’en reste pas moins déstabilisé, lui qui, depuis 1988, après le départ du Dr José Pina, a toujours été élu dès le 1er tour, à l’instar encore des municipales de 2014 à l’issue desquelles, avec 71% des voix, il fit une bouchée de David Sita (19%) et d’Alain Payet (9%). Une voix d’avance, une seulement. Pas de quoi bomber le torse.
Mais il se remet vite au travail, s’attèle à son programme car il sait que les lignes ont bougé, que plus rien ne sera comme avant, que la jeune génération est en mouvement. Il en fait encore l’amère expérience, un an plus tard aux départementales où, avec sa binôme Roseline Lucas (soutenue par le sénateur Michel Dennemont, l’ancien maire des Avirons durant près de 30 ans), il perd son mandat de conseiller départemental au profit du duo Eric Ferrère/Louise Simbaye.
Eric Ferrère est le nouveau maire des Avirons et Louise Simbaye est le bras droit de Mathieu Hoarau à l’Etang-Salé. Les déboires électoraux s’enchaînent pour Jean-Claude Lacouture, qui est aussi rattrapé par des affaires judiciaires : victoire fragile donc aux municipales de 2020, échec cinglant aux départementales ainsi qu’aux régionales de 2020 (son candidat Didier Robert a perdu à l’Etang-Salé au second tour face à Huguette Bello) et annulation de son élection à la mairie en janvier 2022. Annus horribilis pour Lacouture. Il avait pourtant tenté de rajeunir sa liste en 2020 avec l’arrivée, entre autres, de Gilles Leperlier qui, sans être encarté au PCR, a toujours été un proche du maire communiste de Sainte-Suzanne, Maurice Gironcel.
« Mettre la pression sur le président de la Civis… »
Le deal passé entre Leperlier et Lacouture voulait qu’au terme des 6 années de mandature (2020-2026), la main soit passée au jeune directeur de cabinet de la Cinor. Mais c’était sans compter sur la détermination de Mathieu Hoarau qui, après s’être fait jeté par le Tribunal Administratif, est allé frappé aux portes du Conseil d’Etat. Le leader de « La Voix des Citoyens/LVC » a fini par obtenir gain de cause.
Pour la deuxième fois, il va croiser le fer avec le maire sortant de l’Etang-Salé. Les 12 000 inscrits de cette commune vont en effet devoir se prononcer. Les candidats ont jusqu’au 3 février pour faire acte de candidature. Trois d’entre eux sont déjà connus : le sortant évidemment, à savoir Jean-Claude Lacouture et, bien entendu, Mathieu Hoarau. Sans compter, Gilles Leperlier, l’adjoint de Lacouture depuis 2020, mais qui a décidé cette fois-ci de voler de ses propres ailes. Comme un grand !
Il faut dire que malgré ses 36 ans, il est déjà rompu à la chose politique. Formé à l’école du PCR, il a évolué dans le sillage des jeunes communistes proches de feu Paul Vergès. Par ailleurs, Gilles Leperlier travaille depuis quelques années déjà aux côtés de Maurice Gironcel, son mentor politique. Il a été nommé directeur de cabinet de ce dernier depuis qu’il a été élu président de la Cinor en 2020. Gilles Leperlier a aussi été candidat aux législatives partielles de 2017 dans la 6ème circonscription. A l’issue du 1er tour du scrutin, il avait terminé troisième avec10, 87% des suffrages derrière Nadia Ramassamy (21,48%) et Monique Orphé (27,45%).
Au second tour, c’est Nadia Ramassamy, la candidate « LR » qui a remporté l’élection en battant Monique Orphé, investie LREM (La République En Marche). Qu’à cela ne tienne, Gilles Leperlier se présente aux législatives partielles de septembre 2018 dans la 7ème circonscription. Il totalise alors 886 voix (3,8%). Pas de quoi fouetter un chat ! Mais c’est mieux que rien. Mathieu Hoarau, également candidat, ne fait pas mieux : 725 voix (3,1%).
Les deux jeunes vont se retrouver sur le terrain des municipales les 20 et 27 février prochains à l’Etang-Salé, leur commune natale. Mathieu Hoarau a une longueur d’avance sur Leperlier. L’ancien responsable commercial chez Peugeot qui vient de se mettre à son compte dans le domaine du consulting commercial, père de deux enfants, est publiquement connu aujourd’hui pour avoir politiquement « donner la tremblade » à Lacouture, alors que Gilles Leperlier a fait, jusqu’en janvier dernier, partie de l’équipe du maire sortant.
Mais l’actuel directeur de cabinet à la Cinor s’en défend et soutient que dans cet affrontement « bloc contre bloc dont les Etang-Saléens n’en veulent pas », lui est porteur « d’une nouvelle alternative. D’aucuns diront en revanche que la candidature de Leperlier ressemble à une diversion pour éparpiller les voix de la nouvelle génération qui, jusqu’ici avaient plutôt profiter à Mathieu Hoarau. Tout laisse à penser qu’en fonction des résultats du premier tour, Gilles Leperlier et Jean-Claude Lacouture se n’hésiteront pas à unir leurs voix pour essayer de contrer la fougue de Hoarau.
Lequel Hoarau, élu de l’opposition, n’a jamais cessé la campagne et continue à s’activer sur le terrain. Il a rencontré quasiment tous les maires voisins de l’Etang-Salé et en a approché même ceux qui sont un peu plus éloignés de la commune de l’Etang-Salé comme Emmanuel Séraphin à Saint-Paul et Vanessa Miranville à la Possession en vue d’obtenir leur soutien. Il a même rencontré le maire de Saint-Pierre, patron de « LR » à la Réunion pour discuter.
Eric Ferrère, maire des Avirons, a déjà animé une réunion aux côtés de Mathieu Hoarau sur le terrain depuis la décision du Conseil d’Etat. Juliana M’Doihoma, maire de Saint-Louis et 1ère vice-présidente de la Civis sera aux côtés de Mathieu Hoarau. Entre élus ambitieux de la même génération dont l’objectif est de tourner une page politique dans l’île, pas besoin de grand discours. La maire de Saint-Louis aurait, semble-t-il, tenu, juste après la décision du Conseil d’Etat, une réunion avec les siens ainsi que certains partisans de Mathieu Hoarau. Objectif : faire gagner l’adversaire de Lacouture à l’Etang-Salé, afin de mettre un peu la pression sur le président de la Civis. Parce qu’au-delà des municipales, se profilent d’autres enjeux politiques dans cette région de l’île où les jeunes veulent se faire entendre face aux barons, aux caciques qui occupent l’espace depuis plusieurs décennies.
Juliana M’Doihoma a bien l’intention de s’impliquer directement dans ce combat, elle qui a, après les départementales de juin 2021, piloté la constitution d’un groupe politique de sept élus au Département. Groupe composé de ses quatre conseillers départementaux de Saint-Louis, d’Aurélien Centon et sa binôme Mme Jeanne Hoarau de Saint-Paul et de Louise Simbaye, la binôme d’Eric Ferrère. Un groupe qui avait voté en faveur de Cyrille Melchior. Ce qui fait que le président du Département ne devrait, en principe, pas se positionner dans ces partielles de l’Etang-Salé. Il ne peut en effet pas aller contre Lacouture, adhérent comme lui de « Les Républicains », ni contre les sept élus proches de la maire de Saint-Louis qui composent sa majorité départementale.
Ce n’est pas le cas de Michel Fontaine qui bien malgré lui va devoir s’impliquer dans la bataille. Il ne souhaitait pas vraiment, dit-on, s’immiscer dans cette campagne électorale Etang-Saléo-saléenne mais en raison des bruits saint-louisiens qui courent à propos de la majorité de la Civis, il pourrait mettre tout son poids dans cette compétition électorale et voler au secours du soldat « LR » Lacouture en espérant faire comprendre aux jeunes, notamment à M’Doihoma et Hoarau, que les vieux ne comptent pas pour des prunes et qu’ils ont encore leur mot à dire. En sachant que « quel que soit celui qui sera choisi par les électeurs, les projets de l’Etang-Salé resteront les projets de l’Etang-Salé au sein de la Civis et seront traités comme il se doit par les élus qui composent cet EPCI », souligne un proche de Michel Fontaine. Qui souhaite malgré tout une victoire du candidat « LR »…
Voilà qui pourrait donner encore un peu plus de saveur politique à ces « petites » municipales partielles des 20 et 27 févriers prochains à l’Etang-Salé. Une belle joute électorale en perspective où l’enjeu sera de taille pour les trois candidats officiellement annoncés, à savoir : « le changement c’est maintenant ou jamais » pour Mathieu Hoarau (qui prépare une conférence de presse pour le 7 février prochain avec à ses côtés tous ses soutiens dont Juliana M’Doihoma, Eric Ferrère et peut-être d’autres maires, sans oublier Johan Guillou, président de la ligue réunionnaise de Basket qui voudrait se présenter aux prochaines législatives dans la 7ème circonscription avec l’étiquette « La Voix des Citoyens »).
L’autre enjeu politique de ce scrutin consistera pour l’équipe sortante et ses alliés de garder cette commune dans l’escarcelle de la droite « LR ». Et, enfin, pour Gilles Leperlier de s’imposer comme celui qui détiendra les clés du second tour. Sans compter que pour lui, ces partielles pourraient peut-être aussi constituer « un tour de chauffe » pour les législatives dans la 7ème circonscription. Quoi qu’il en soit, si Lacouture l’emporte, Gilles Leperlier ne sera vraisemblablement pas très loin du pouvoir. Et si c’est Mathieu Hoarau qui gagne, Leperlier sera dans l’opposition et commencera d’ores et déjà à préparer 2026 pour un duel non plus intergénérationnel ou « bloc contre bloc » mais pour un combat « jeune contre jeune » de la même génération, entre natifs de l’Etang-Salé.
Y.M.