Elisabeth Borne, rougail saucisses et… zembrokal politique indigeste

Il n’y a aucune raison de faire la fine bouche, bien au contraire, car une Première ministre et 4 ministres en visite en même temps dans un département, ça n’arrive pas tous les jours. Et même si ça crée quelques bouchons au niveau circulation en l’espace d’un court séjour, nous devons considérer la venue de cette délégation interministérielle comme un privilège pour notre petite île qui en a bien besoin, besoin d’être écoutée et entendue tant les défis à relever sont multiples eu égard à tous ses retards par rapport à l’hexagone, en dépit de 77 ans de départementalisation.

Il lui arrive parfois de sourire, pas souvent, mais ça arrive ! (Crédit photo : Yves Mont-Rouge)

Mais il n’en demeure pas moins que cette visite de Première ministre à la Réunion se veut assez atypique, inhabituelle en tout cas sur la forme : pas de contact avec la population à son arrivée, pas d’accueil officiel par des élus au salon d’honneur ou dans l’aérogare, sortie de l’aéroport par la voie du fret pour la cheffe du gouvernement. Une visite ministérielle sous les tropiques qui bouscule quelque peu les codes. Avec des gendarmes et des policiers partout, à tous les coins de rue, y compris dans le cirque verdoyant de Salazie. Il fallait montrer patte blanche pour se rendre aux abords de la mairie de ce cirque hier matin, comme vous pouvez le voir sur cette vidéo où un couvercle de marmite peut être considéré comme une arme redoutable. En deux temps, trois mouvements cet homme s’est fait « gentiment » dégager de la place. Un autre manifestant, pas méchant du tout, s’est quant à lui retrouvé face à 5 ou 6 gendarmes mobiles, histoire de lui faire très vite passer  l’envie de crier son hostilité à la Première ministre et au gouvernement.

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C’est dire l’ambiance dans laquelle s’inscrit cette première visite en Outre-mer en général, et à la Réunion en particulier, pour Elisabeth Borne. Depuis le 49.3 sur la réforme des retraites, qui a eu pour effet d’irriter de nombreux citoyens, les membres du gouvernement se déplacent non sans crainte. Raison pour laquelle sans doute, les « organisateurs » de cette visite interministérielle ont mis les petits plats dans les grands en matière de sécurité.

Jamais les automobilistes n’auront vu autant de gendarmes et de policiers postés sur les quelques kilomètres qui mènent jusqu’à la mairie de Salazie. Il est loin l’époque où les ministres, Premiers ministres et Présidents de la République débarquaient avec toutes leurs dents dehors, acclamés par des militants arrivés par bus entiers pour applaudir l’hôte gouvernemental ; Finie également l’époque où les ministres fendaient la foule en distribuant bises et poignées de mains, sans oublier des accolades bien « transpirantes » aux cantinières qui attendaient des heures durant l’arrivée de l’avion sous un soleil « poiquant » avec des petits drapeaux tricolores à la main. Les temps ont changé. Une visite ministérielle est devenue banale; Les citoyens ne sont plus là ek ça.

110 millions d’euros de chèques en une journée : le gouvernement est généreux même envers ses adversaires politiques

Durant cette première journée très institutionnelle, hormis la parenthèse salazienne où Elisabeth Borne s’est rendue sur le site de Cayenne pour découvrir le dispositif Meren et sa rencontre avec quelques habitants dans la salle du conseil municipal, du cirque, la Première ministre a effectué quelques annonces : un chèque de 30 millions d’euros pour MEREN (ça concerne l’eau), une aide financière pour la construction de 5 EHPAD (qui figurait déjà dans la feuille de route de la mandature de Cyrille Melchior), 60 millions d’euros pour la réalisation de 5 lycées – soit 110 millions d’euros en une journée – ainsi que le soutien du gouvernement pour la mise en œuvre d’un transport ferroviaire dans le futur. Elisabeth Borne devrait faire d’autres annonces au fil de son séjour, peut-être dans le domaine du logement lors de la séquence de ce vendredi matin à Saint-Pierre, ou encore en matière agricole cet après-midi à Sainte-Rose et au niveau de l’écologie. Pour le reste (pouvoir d’achat…), rien de nouveau sous le soleil pour le moment, mais il ne faut pas désespérer car il sera question d’emploi samedi matin à Saint-Leu.

On retiendra aussi qu’Elisabeth Borne arrive dans un département où la Macronie n’a pas d’ancrage politique, où Mélenchon et Le Pen ont largement damé le pion à Emmanuel Macron lors de la dernière présidentielle, où Renaissance n’existe qu’à travers un petit (il n’y a rien de péjoratif) mouvement politique le MPTU (Mouvement Politique Trait-d’Union) de Michel Vergoz, ex socialiste reconverti en élu de droite suite à un rapprochement avec Didier Robert, l’ancien président de Région battu par Huguette Bello en juin 2021. Ce qui fait que le gouvernement est contraint localement de composer avec ses adversaires politiques. Et plus il se fait « totocher », plus il sort le chéquier en faveur de ses détracteurs.

Plus il se fait taper dessus par les députés réunionnais de La France Insoumise qui n’hésitent pas « counicher le momon » de Macron et autres dans la rue lors des manifestations anti réforme des retraites, plus il se fait lyncher par le « PLR » d’Huguette Bello, présidente de Région, ou encore par le « Progrès » de Patrick Lebreton et de la députée Emeline K/Bidy, laquelle vise la mairie de Saint-Pierre, plus le pouvoir parisien n’hésite pas à sortir le chéquier pour soutenir les actions régionales.Tout un zembrokal politique de plus en plus illisible !

Au déjeuner républicain d’hier, jeudi 11 mai, Patrick Lebreton était assis sagement aux côtés de la Première ministre. Patrick Lebreton, maire de Saint-Joseph et représentant d’Huguette Bello en tant que 1er vice-président de la Région ; Lequel Lebreton n’en rate pas une contre le gouvernement à la moindre occasion. Ce qui m’amène à constater qu’on peut casser du sucre sur le dos de Macron dans la rue et manger, comme si de rien n’était, avec le gouvernement. Idem pour la députée Nathalie Bassire du groupe LIOT, ce groupe qui, à l’Assemblée nationale, a porté à bout de bras la motion de censure pour tenter de renverser le gouvernement d’Elisabeth Borne. Hier midi, au déjeuner républicain, au restaurant « La Cabane aux épices » à Saint-Benoit, Bassire et Borne, tout sourire, ont partagé le rougail saucisses et le carry poisson en toute convivialité. Les députés de la Nupes ont quant à eux boycotté le déjeuner, préférant se fendre d’une lettre ouverte commune adressée à la cheffe du gouvernement.

Pour une fois, Jean-Hugues Ratenon et Perceval Gaillard de la LFI ont co-signé un courrier avec leurs camarades Karine Lebon, Frédéric Maillot, Emeline K/Bidy du groupe GDR, tendance « PLR » (Pour la Réunion d’Huguette Bello). Cela n’était plus arrivé depuis un bout de temps. Force est de constater que si l’entente n’est pas toujours au beau fixe entre eux, entre les deux mouvances nationale et locale de la gauche, ils arrivent (encore) malgré tout à s’entendre pour casser du Macron et interpeller le gouvernement de Borne. Vous l’aurez compris, à ce déjeuner républicain, seule Nathalie Bassire (l’opposante d’André Thien-Ah-Koon au Tampon) a fait le déplacement jusqu’à Saint-Benoit.

Mario Lechat candidat aux sénatoriales ?

En revanche, les quatre sénateurs qui vont devoir remettre leur mandat en jeu en septembre prochain, ont répondu présents : Viviane Malet, Michel Dennemont, Nassimah Dindar et Jean-Louis Lagourgue qui, rassurez-vous, ne s’est pas retrouvé assis aux côtés de Richard Nirlo, le maire de Sainte-Marie. Justement, parmi les maires, sur les 24 que compte notre île, une douzaine seulement a bien voulu casser la croûte avec la Première ministre : Patrice Selly (Saint-Benoit) qui est Macroniste en fonction de la météo, Ericka Bareigts (Saint-Denis), Michel Fontaine (Saint-Pierre), Emmanuel Séraphin (Saint-Paul), Serge Hoareau (Petite-Ile), Stéphane Fouassin (Salazie), Jeannick Atchapa (Bras-Panon), Olivier Hoarau (Le Port), Richard Nirlo (Sainte-Marie), Michel Vergoz (Sainte-Rose), et Patrick Lebreton avec sa double casquette de maire de Saint-Joseph et de 1er vice-président de la Région, comme je vous le disais. Certaines communes se sont fait représenter (Saint-Louis, Entre-Deux, municipalité du maire Bachil Valy qui, il y a peu encore, était le référent territorial de La République En Marche, Saint-Leu, Saint-André…). D’autres n’ont quasiment pas donné signe de vie (Le Tampon, La Possession, Cilaos, Saint-Philippe, les Avirons, l’Etang-Salé…).

Comme signalé ci-dessus, hormis Michel Vergoz, maire de la petite commune de Sainte-Rose, Cyrille Melchior et Michel Dennemont, ce gouvernement n’a pas véritablement de socle politique sur lequel se reposer. Il aurait pu s’appuyer sur des cales même un peu bancales que sont les maires de Saint-Pierre, du Tampon, et de Petite-Ile, et autres, avec lesquels Jean Castex, l’ancien Premier ministre de Macron n’avait pas hésité à déambuler dans les rues de Saint-Pierre durant la campagne électorale de la présidentielle de 2022, mais j’ai bien l’impression que le gouvernement, qui paraît orphelin, a plus tendance à composer avec les adversaires, avec celles et ceux qui tirent à boulets rouges sur lui, celles et ceux qui l’insultent dans la rue. D’où la lisibilité politique pour le moins compliquée qui fait que le citoyen lambda y perd son latin. La population ne comprend plus rien. Et nos élus locaux se trouvent ainsi répartis en deux camps : ceux (les adversaires affichés) mais qui savent se montrer tout doux lorsqu’il y a à bouffer et à gagner et ceux (les modérés) qui se retrouvent le plus souvent à quémander.

Les élections sénatoriales arrivent à grand pas. Les cabinets politiques ministériels parisiens auraient dû commencer à se remuer leurs méninges mais il faut croire qu’ils sont un peu à côté de la plaque et se contentent d’évoluer dans leur un univers de bisounours où tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Dans ces conditions, et en dépit de toute la bonne volonté de Michel Vergoz et du MPTU (Mouvement Politique Trait-d’Union), ce n’est pas demain la veille que la Macronie pourra se structurer à la Réunion alors que, paradoxalement, ce gouvernement a quand même pris quelques mesures qui vont dans le sens de l’intérêt des plus faibles.

Mario Lechat (à droite), patron du groupe Cirano.

En parlant des sénatoriales, avez-vous entendu la dernière rumeur en date ? Je vous la donne comme on me l’a vendue : une candidature de Mario Lechat, patron du groupe Cirano (Antenne Réunion, NRJ, Exo Fm…). Le fils de feu Mario Hoarau, premier président de la Région Réunion (1983-1986) viserait-il réellement un poste de sénateur ? Info ou intox ? J’avoue que, visite ministérielle oblige, je n’ai pas eu le temps de l’appeler hier. Ce sera chose faite très prochainement. Décidément, si la rumeur se confirme, on pourra dire que tout le monde veut être sénateur. Tillier, Lechat…

République bananière à Sainte-Marie

Un navire (je veux parler de Sainte-Marie) qui, malgré tout le soutien de la préfecture, continue à tanguer. Si Nirlo tient jusqu’à la fin de son mandat, en 2026, il mériterait sincèrement l’érection d’une statue à son effigie sur une des places de cette commune. Voilà une municipalité où 14 élus dont des adjoints de premier plan démissionnent. Les démissions sont déposées en préfecture ainsi qu’à la mairie. Au lieu de procéder, comme le veut la loi, à des vérifications, le préfet demande au maire si ces démissions sont validées ou pas. Pas besoin d’être grand clerc pour deviner la réponse de ce dernier. Du coup, le maire dépose une plainte pour « fraude à la démission ». Il gagne du temps, ce qui lui permet ainsi de ramener quelques brebis (les plus vulnérables) dans son troupeau déjà bien perdition. Sans compter qu’il avait omis de signaler à la préfecture deux ou trois démissions qu’il avait déjà reçues précédemment. Et lorsque la question de savoir si de nouvelles élections seront prochainement organisées à Sainte-Marie, le préfet Jérôme Filippini répond que ses équipes lui ont précisé que « le compte n’y était pas » et, donc, qu’il n’y avait pas lieu de dissoudre le conseil municipal. Ben voyons ! Jusqu’à quand cette situation ubuesque va-t-elle durer ? En fait, on verra d’ici à début juin, date du prochain conseil municipal, si Richard Nirlo a toujours les commandes en main et si le compte est bon pour que le conseil puisse légalement et sereinement délibérer. Au cas contraire, les équipes du préfet devront reprendre leur calculette pour recompter car pour l’instant, ça fait un peu République bananière.

Une autre histoire de statue pour terminer. Pas celle de Nirlo mais celle de Mahé de Labourdonnais, qui défraye la chronique et alimente une gué-guerre entre historiens depuis quelques jours. Les historiens locaux ont trouvé un os à ronger. A croire qu’ils s’emmerdaient (désolé d’être vulgaire) dans leur chaire. Maintenant qu’ils ont trouvé de quoi s’amuser, ils s’en donnent à cœur joie et jonglent à volonté avec les verbes « déboulonner » et « déplacer ». Rappelons que la maire de Saint-Denis a un projet d’aménagement du square Labourdonnais (qui ne s’appellera plus ainsi d’ici à la fin de l’année, vraisemblablement avant le 20 décembre, date symbolique) et que, par conséquent, elle profitera de l’occasion pour procéder au

« déplacement » de la statue Mahé de Labourdonnais, « l’ancien esclavagiste ». C’est son choix en tant que première magistrate de la commune. La question a été posée hier soir à la Première ministre. Laquelle a répondu que, « sur le principe », il n’y avait aucun problème à « déplacer » une statue, en précisant que « déplacer » ne veut pas dire « la faire disparaître de l’espace public ». C’est clair ! Pourquoi donc toute cette bataille autour de cette statue quand d’autres problèmes beaucoup plus importants (inflation, manque de logements, d’emplois…) n’ont toujours pas trouvé de solutions ?

Question : Elisabeth Borne, qui a parfois des airs de statue tant elle paraît crispée, sera-t-elle encore dans « l’espace public » après le 14 juillet (la période des fameux 100 jours) ou sera-t-elle « déplacée » du gouvernement par Emmanuel Macron ? Réponse le 15 juillet, après la bataille des 100 jours !

Enfin, un petit mot pour finir sur  l’opération « Wuambushu » ! Loin de moi la prétention de m’immiscer dans ce débat compliqué. C’est avant tout l’affaire des Mahorais. Et d’après ce que j’ai compris, la grande majorité des Mahorais y sont pour. Le gouvernement, via Gérald Darmanin, son ministre de l’Intérieur et ministre des Outre-mers, décide de renvoyer les clandestins Comoriens chez eux, de raser tous les bidonvilles et de lutter ainsi contre l’immigration clandestine à Mayotte et le problème de la violence. Mais les Comores refusent d’accepter ses ressortissants et renvoie le bateau des migrants à son expéditeur, à savoir Darmanin.

Le président de l’Union des Comores, Azali Assoumani va même déclarer sur France 24 et RFI que « le problème de la délinquance, de la violence à Mayotte ce n’est pas son affaire, c’est le problème de la France qui n’a qu’à le gérer ; La France qui, dit-il, « est responsable pour ne pas dire coupable de cette situation ». Quelques jours après cette déclaration publique contre la France, le président Azali est reçu en grande pompe à l’Elysée par Emmanuel Macron : accolade, embrassade, sourire tranche papaye, tout y est !

Faut-il rappeler également que si le président Azali préside depuis quelques semaines l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine), c’est aussi grâce à la France qui a joué un rôle diplomatique très conséquent dans cette élection. En clair, les Comores profitent de tout ce que la France peut lui donner, de tout ce qu’il y a à prendre du grand pays des Droits de la l’Homme et, en contrepartie, lorsqu’arrive le moment de coopérer et de travailler en bonne intelligence, afin de régler un problème de taille, comme celui de l’immigration clandestine à Mayotte, le pouvoir comorien, Président et ministres confondus, répondent en chœur au Président de la République française : allez vous faire cuire un œuf, tout en adressant un beau bras d’honneur à Macron et à sa bande qui, manifestement, aiment ça. Là encore, l’illustration d’un zembrokal politique indigeste !

Y.M.

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