Un conseil d’administration d’Air Austral s’est tenu en fin d’après-midi, ce mardi 14 juin. Marie-Joseph Malé, le Pdg de la compagnie, recruté il y a 10 ans par l’ancien président de la Sematra Didier Robert a quitté ses fonctions.
Il est remplacé par Joseph Bréma, le directeur des finances de la compagnie aérienne. Joseph Bréma, originaire de Sainte-Rose (de la Rivière de l’Est plus précisément) travaille au sein de la compagnie depuis quasiment sa création.
Il a connu déjà deux Pdg : Gérard Ethève, puis Marie Joseph Malé. Joseph Bréma qui est au four et au moulin dans le cadre de la restructuration de cette compagnie aérienne où pour l’instant, une offre de rachat a été faite par le groupe Deleflie et des actionnaires réunionnais. Pour l’instant et par rapport à l’article (ci-dessous) que nous avions publié le 1er juin dernier, la situation n’a pas beaucoup évolué hormis le changement survenu à la tête de la société, hier en fin d’après-midi, à savoir le départ de Marie-Joseph Malé et l’arrivée de Joseph Bréma. Quant à savoir pendant combien de temps Monsieur Bréma va-t-il rester aux commandes de la compagnie, personne ne peut le dire pour l’instant. Il faudra attendre que l’offre qui a été faite soit acceptée et que, par la suite, le nouvel actionnaire majoritaire prenne une décision à ce niveau. Pour l’instant, c’est toujours la Sematra qui est majoritaire à hauteur de 97% environ.
Notons que ces derniers temps, le nom de Christian Dijoux, employé par le groupe Deleflie, a beaucoup circulé comme futur successeur de Malé. Mais du côté de la Sematra, rien n’a été confirmé, ni infirmé. L’ancien DGS du conseil général (durant une des mandatures de Nassimah Dindar), haut fonctionnaire de l’Administration, natif de Sainte-Rose, diplômé de Sciences-Po et de l’ENA, se verrait déjà, semble-t-il, assis dans le fauteuil de Joseph-Marie Malé. Mais il serait imprudent de vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. D’autant que, selon nos informations, s’il s’avère que d’autres investisseurs se manifestent d’ici au 30 juin prochain et que le groupe Deleflie n’est pas majoritaire, les chances de Christian Dijoux de devenir Pdg d’Air Austral pourrait être réduites comme peau de chagrin.
Il reste 15 jours à la Région pour sauver la compagnie aérienne Air Austral ?
La date du 30 juin avait été évoquée dans un premier temps, mais le timing pourrait être revu et prolongé. La collectivité régionale via la Sematra dispose d’un peu plus de temps pour présenter à l’Etat, plus précisément à Bercy (ministère de l’Economie et des Finances) un plan de sauvetage. La Sematra est une société d’économie mixte locale créée en 1990 et composée des deux principales collectivités de la Réunion (conseil régional et conseil départemental) et de la Caisse de dépôt et de consignation (CDC). L’objectif de la Région (actionnaire principal de la Sematra qui elle même détient la majorité des parts du capital d’Air Austral) est de sauver, coûte que coûte, la compagnie aérienne régionale qui se trouve en grande difficulté financière car cumulant près de 200 millions d’euros de dettes.
Si rien n’est fait d’ici là, la compagnie aérienne, qui emploie directement plus de 800 personnes et représente environ 3000 emplois indirects, peut risquer une liquidation judiciaire et se retrouver en l’état de cessation de paiement. La Région veut absolument éviter cette issue fatale pour Air Austral considéré comme un outil précieux de désenclavement aérien pour la zone océan Indien et qui, en outre, rend possible la concurrence notamment avec Air France.
Il faut savoir qu’aujourd’hui, au sein du capital d’Air Austral, les fonds publics y occupent une place prépondérante. La Sematra détient à elle seule près de 98% du capital (74% Région, 10% Département et 14% CDC). Le reste du capital (environ 3%) est détenu par des actionnaires privés. La situation financière de la compagnie reste très dépendante des finances publiques. La Chambre régionale des comptes (CRC) l’avait d’ailleurs relevé dans son rapport rendu public en 2019 et portant sur les exercices remontant à 2014. « Malgré le recours à des techniques d’optimisation financière qui ont permis d’acquérir à moindre coût un appareil supplémentaire, la politique de développement de la compagnie apparaît dépendante de l’intervention des pouvoirs publics en terme de financement de ses actifs », avait observé la CRC.
Air Austral, et c’est un secret polichinelle, traverse une grosse zone de turbulences financières. «Le résultat de la compagnie est en baisse continue depuis 2015 », avait constaté le Chambre régionale des comptes en 2019. La CRC avait également relevé : «depuis 2015, les projets de développement de la compagnie ainsi que l’évolution du marché constituent un contexte nouveau qui n’a cependant pas permis aux collectivités publiques de réduire leur niveau de participation au capital, les négociations entamées avec un investisseur privé n’ayant pas abouti. L’absence d’investisseur privé expose la Région à en supporter les risques potentiels». Ça c’était le constat établi par la CRC en 2019 sous la mandature de Didier Robert (président de Région de 2010 à 2020).
Depuis 2021, la majorité régionale a changé. La présidente Huguette Bello qui s’est, entre autres, fixée pour mission de sauver Air Austral, ne souhaite pas pourtant autant que la Région continue à financer la compagnie à coups de dizaines de millions d’euros d’argent public comme cela fut fait de 2010 à 2020 sous Didier Robert, période durant laquelle, la Région aurait abondé les caisses d’Air Austral à hauteur de pas moins de 180 millions.
Certes, la Région d’Huguette Bello ne laissera pas tomber la compagnie aérienne régionale mais elle accordera une grande place à l’actionnariat privé. Rappelez-vous, lors de sa prise de fonction, il y a quasiment un an, à la tête de la pyramide inversée, la présidente Bello avait fait appel « au patriotisme économique ». Autrement dit, aux investisseurs privés pour qu’Air Austral puisse sortir de cette zone de turbulences.
En sachant que depuis le dernier contrôle de la CRC, le Covid est passé par là et a rendu le secteur aérien encore plus vulnérable. Néanmoins, concernant Air Austral, le Covid n’est pas le seul responsable de sa fragilité financière. Son fonctionnement, notamment le nombre de recrues opérées (par la Sematra de Didier Robert ?) durant une certaine période ainsi que ses choix stratégiques (avec Madagascar) et la reconduction des lignes déficitaires y sont aussi pour quelque chose.
Pour pouvoir se maintenir, à l’instar de toutes les compagnies ariennes mondiales au sortir de la crise sanitaire et après la levée des consignes éponymes, Air Austral a bénéficié d’un prêt de 20 millions d’euros (10 M€ provenant de l’Etat et 10 M€ émanant d’un prêt de la Caisse de dépôt et de consignation). Un prêt qu’il va falloir rembourser. D’où la nécessité absolue aujourd’hui pour la Région de présenter à l’Etat un plan de sauvetage de la compagnie. Un travail qui a déjà commencé depuis quelques semaines.
Il en a été bien entendu question lors du conseil d’administration de la Sematra, le 6 mai dernier lors duquel il a été décidé de modifier les statuts de la société d’économie mixte locale en lui fixant de nouveaux objectifs, à savoir « la contribution au développement du territoire, du fret agricole, des échanges et de la mobilité des jeunes ». Une modification qui pourrait amener le Département à revoir à la hausse sa participation au capital de la Sematra, tandis que la Région réduirait la sienne – avec un objectif d’arriver à 33% à l’orée de 2026-2027 pour être dans les clous juridiques – afin de faire entrer les investisseurs privés en nombre plus important.
Mais le plus pressant pour l’instant est de réunir le tour de table et de trouver des investisseurs privés pour pouvoir présenter en faveur du sauvetage d’Air Austral ce fameux plan qui, du point de vue de l’Etat et de la commission européenne, devra être considéré comme économiquement viable.
Christian Dijoux, proche du groupe Deleflie, se voit déjà assis dans le fauteuil de Joseph-Marie Malé, l’actuel Pdg d’Air Austral, mais rien n’a été décidé pour le moment.
Au stade actuel, quelques investisseurs privés se sont déjà manifestés. Il s’agit du groupe Deleflie (Clinifutur), de Pascal Thiaw-Kine (les magasins Leclerc), du Groupe Locate (Intersport…), d’Adam Ravate (groupe Ravate), Laperrière (transitaire), de Jacques Dijoux (hôtel le Ness), de Jean-Jacques Charolais…
Une première réunion de préparation a déjà eu lieu à Bercy, dans le cadre du CIRI (Comité interministériel de restructuration industrielle). La Région compte négocier au mieux un abandon des dettes fiscales et sociales de la société ; Au pire, un report avec échelonnement. « L’Etat qui a donné des milliards d’euros à Air France pourrait faire un geste en direction d’Air Austral en abandonnant par exemple le PGE/Prêt Garanti par l’Etat », laisse entendre un des membres de la Sematra.
Il y a urgence à boucler un tour de table. La Région avait fait voter 20 M€. Le Groupe Deleflie mettrait à lui seul également 20 M€. Idem pour les autres investisseurs réunis cités ci-dessus. Avec peut-être d’autres actionnaires privés à venir.
Le compte a rebours a donc commencé pour la Région dont la mission est d’empêcher Air Austral de piquer du nez. Pour info, la piste d’un rapprochement capitalistique avec Corsair dont il avait été question pendant un certain temps ne tiendrait plus la route (ou le couloir aérien) étant donné qu’en matière de situation financière Corsair n’aurait pas de leçon à donner à Air Austral. La solution réunionnaise est celle privilégiée et défendue par la Région (Sematra). A condition que l’Etat donne son feu vert. Mais pour cela, il attend de voir le Plan de sauvetage qui lui sera soumis prochainement par la collectivité régionale. A suivre !
Y.M.